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écrivain belge - Page 14

  • Au Caillou qui bique

    L’année dernière, à Saint-Amand, nous nous étions promis de nous rendre au Caillou-qui-bique cher à Verhaeren, après avoir visité la belle exposition du Musée provincial consacrée à ce lieu mythique. De 1899 à 1914, le poète belge, qui avait quitté Bruxelles pour s’installer à Saint-Cloud, y séjournait régulièrement avec sa femme dans la petite maison mise à sa disposition par la famille Laurent, non loin du célèbre Caillou. 

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    C’est la femme de Rodenbach qui a fait découvrir cet endroit à Verhaeren, à la fin d’une période noire pour le poète, marquée par le deuil de ses parents et des crises de neurasthénie. Rodenbach, son ami, venait de mourir et la famille de sa veuve « lui dénicha la ferme des Laurent au site du Caillou-qui-Bique, une bâtisse noyée dans les taillis où les promeneurs de la région avaient l'habitude de manger les excellents repas préparés par Madame Laurent. »

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    De mars à mai, d’août à novembre – sujet au rhume des foins, il évitait d’y passer le plein été – Emile Verhaeren venait se reposer à Roisin avec Marthe, lire, écrire, se promener, recevoir des amis : Zweig, Montald et sa femme, Emile Claus... Il vivait là très simplement (voir le récit de C. Debiève) dans une annexe aménagée pour lui au fil des ans.

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    En suivant les flèches vers « l’Espace Muséal Verhaeren », on roule en direction de Roisin sur un ruban de route qui monte vers le ciel au milieu des champs et là, déjà, on devine ce que le poète a aimé ici : l’espace complètement ouvert, la paix, la nature pour seul horizon. 

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    Les bannières du lieu portent le beau logo de Verhaeren en marche, silhouette pleine d’écriture. Et voici quelques maisons, un parking, un panneau « musée ».  

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    En pénétrant dans la cour, nous apercevons le profil des Verhaeren sur le mur d’une maisonnette.  Nous avons oublié que le musée n’ouvre que le week-end et les jours fériés, dans l’après-midi ; en semaine, il se visite sur rendez-vous. Heureusement, en faisant le tour de l’autre côté, nous rencontrons une personne très aimable qui possède la clé de ce petit musée à la mémoire d’Emile Verhaeren à Roisin.

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    Nous y entrons (le musée est situé dans une annexe) en musique : de jeunes flamands répètent ici et là, trompettes, saxos, logés sans doute au foyer d’hébergement du Caillou qui bique. Quelques dessins nous retiennent près du seuil, dont une jolie gravure inspirée par les jonquilles locales très appréciées des promeneurs au printemps.

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    Des panneaux racontent la vie de Verhaeren, en français et en néerlandais. Le buste du poète sculpté par César Schroeven, dont nous avions vu la version en bronze à Saint-Amand, donne de la présence au poète dans cet espace jaune et bleu qui lui est dédié. 

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    Belle couverture d’un livre posthume portant le nom du lieu, dessins, correspondances, reproductions de peintures, photographies, poèmes de ses différents recueils, l’hommage au poète est présenté avec soin. Valère Brussov, son premier traducteur russe, lui écrit de Moscou en 1906 : « Cher maître, (…) je serai toujours fier d’avoir été le premier prophète de votre poésie chez nous. » Stefan Zweig, fin août 1909, lui écrit sur papier à en-tête d’un hôtel à Saint Blasien, Schwarzwald, à propos d’un article à sa gloire : « ce n’est plus un essay (sic), c’est une fanfare ! » Plus loin, quatre feuillets signés Verlaine, « A vous de coeur. » 

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    Dans une lettre à Rodin, datée de Saint-Cloud, 23 mai 1916, Verhaeren évoque la comtesse de Caraman, la reine Elisabeth, La Panne, et conseille au sculpteur d’attendre un signe de la comtesse avant de se déplacer en Belgique « sans péril ». A la fin du parcours, le terrible télégramme annonçant la mort de Verhaeren à la gare de Rouen : « Verhaeren victime épouvantable accident – veuillez préparer Madame Verhaeren (…) » 

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    En contrebas des habitations, près d’une barrière blanche, c’est le début de la promenade des pierres : au pied du monument à Verhaeren, de grandes dalles grises. On y a gravé des vers du poète, et on en retrouvera tout le long de cette boucle qui nous fait d'abord descendre dans les bois pour traverser la Honnelle.

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    La légende du Caillou : http://www.pnhp.be/html/fr/curiosites.html

    On longe la rivière jusqu’au Caillou éponyme, le fameux poudingue, curiosité naturelle : un énorme caillou qui « bique », c’est-à-dire qui se tient en équilibre sur un autre. Bel endroit sauvage où pierres et arbres se tutoient au bord de l’eau.

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    Un peu plus loin, on laisse à droite une maison de briques aux fenêtres joliment arrondies pour monter à la terrasse du Chalet du Garde. Ne croyez pas que je l’invente, un aimable chat tigré gris nous y attendait sur les vers du poète.

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    Le temps d’un thé dans ce décor bucolique, puis nous retraversons la Honnelle pour remonter vers les champs. Au sortir du bois, après quelques maisons, c’est à nouveau l’espace grand ouvert, « mon ami le paysage », chanté par Verhaeren.

  • Boîte noire

    « S'adressant à Eric, la directrice lui demanda ce qui n'allait pas à l'école. "J'aimerais bien être comme tout le monde", répondit-il et après un long silence : "J'ai une boîte noire dans la tête que je ne peux pas ouvrir." Il parlait tout bas comme s'il avait peur d'être entendu, ce qui se traduisait par d'énigmatiques chutes de voix. Juliette était bouleversée. N'en pouvant plus, elle se leva et discrètement prit congé de la directrice. »

    Jean-Luc Outers, De jour comme de nuit

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    Jacob Smits, Profil de jeune homme


  • Un monde meilleur

    Des amitiés, une époque, des doutes, des rêves, des débuts… Voilà ce que conte Jean-Luc Outers dans son dernier roman, De jour comme de nuit (2013). Trois personnages principaux, à la fin des années soixante : Hyppolite, inscrit en droit à l’université de Bruxelles « puisque le droit, lui avait-on dit, pouvait mener à tout. » César, qui a choisi Sciences-Po pour la même raison. Juliette, à trente kilomètres de là, inscrite en psychologie à Louvain (avant que les francophones, chassés par les flamands, ne déménagent à Louvain-la-Neuve). 

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    « Les études sont une suspension du temps entre l’enfance et l’âge adulte, un moment différé avant de plonger dans le bain définitif de la vie. » Outers situe d’abord ces trois jeunes en rupture dans leur famille. Les parents de Juliette s’inquiètent de sa vie loin d’eux et hors des sentiers battus – depuis que le jour de ses seize ans, elle a refusé net le collier de perles que lui offrait son père joaillier. Hippolyte déteste le conformisme de son père, un parlementaire. Les parents de César, fils unique, ont recomposé une famille, chacun de leur côté, après leur divorce.

    Lui, rebelle, en profite pour vivre à sa guise et se retrouve régulièrement au poste de police. Il disparaît tout un temps avant que ses parents ne reçoivent une carte du Chiapas (Mexique), où les Indiens se rebellent contre le gouvernement – leur fils, un apprenti-terroriste ? Juliette, tombée amoureuse de Marco, est si impatiente de « foutre le camp » qu’elle va jusqu’à l’accompagner pour un casse de la bijouterie paternelle, mais se ravise en dernière minute. Quant à Hippolyte, il souffre de dépression chronique et ne sort de sa léthargie que lorsque Zoé, une de ses soupirantes, s’impose. Ou quand, en octobre 1968, il écoute Jessie Owens aux J.O. dénoncer l’oppression des noirs au micro d’un reporter blanc.

    Juliette aménage une « maison de poupée » au Grand Béguinage de Louvain, et se sent vite chez elle dans la ville universitaire où tout est accessible à pied. Elle y tombe sous le charme de Rodrigo, un étudiant chilien. C’est à une manifestation contre Franco que nos trois étudiants font connaissance au commissariat, embarqués après le caillassage d’une banque espagnole à Bruxelles. César, connu de la police, y est retenu. Juliette et Hippolyte, qui vomissent toute forme d’injustice, se joignent au comité pour sa libération.

    Quand Juliette, enceinte de Rodrigo rentré au Chili pour aider la Révolution, se retrouve sans nouvelles de lui après le coup d’Etat, elle peut compter sur le soutien de César et Hippolyte. Tous deux prennent soin du bébé quand Marie vient au monde. Pour son mémoire sur le décrochage scolaire, Juliette rencontre une directrice d’école et assiste à un entretien décourageant à propos d’un garçon qui n’arrive pas encore à lire à onze ans, et dont plus aucun établissement ne veut, au désespoir de sa mère.

    L’été, ils partent tous les trois en 4L avec Marie pour Lisbonne. César l’imprévisible, enthousiasmé par la Révolution des œillets, finit par s’en aller de son côté. Quand ils se retrouvent à Bruxelles, après leurs études, Juliette les persuade de travailler avec elle à son projet : « créer une école pour adolescents dont les écoles ne voulaient plus ». La suite du roman y est consacrée, on assistera à l’ouverture de « l’école des Sept-Lieues » et on retiendra son souffle avec ses concepteurs et leurs premiers élèves. 

    De jour comme de nuit (cette école exige une « présence ininterrompue ») restitue le contexte politique et social des années 1970 et le parcours des trois étudiants. C’est raconté avec détachement, sans fioritures – le roman perd un peu en émotion ce qu’il gagne en réalisme. On y reconnait les réflexions d’Hypothèse d’Ecole et les fondements du Snark (dans la réalité, c’est le nom de l’animal imaginaire de Lewis Carroll qui a été retenu). Outers, né en 1949, a puisé dans sa propre expérience pour écrire ce récit de fiction. C’est juste, fidèle, mais il y manque un je ne sais quoi, effet du style sans doute, qui rende ses personnages plus attachants, dans leurs désarrois comme dans leur désir généreux de rendre le monde meilleur.

  • Certitudes parapluies

    « Maggie m’avait dit plus d’une fois que la seule façon d’avoir une chance d’être heureux, c’est d’accepter que rien n’est jamais certain, que rien n’est définitif, ni les bonnes choses… ni les mauvaises. Elle avait réussi à me faire sourire en me disant que les certitudes sont des parapluies qui ne s’ouvrent que les jours où il fait beau et qu’alors ils nous gâchent la lumière du soleil. »

    Francis Dannemark, Histoire d’Alice qui ne pensait jamais à rien (et de tous ses maris, plus un)

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  • Alice et ses maris

    Francis Dannemark, écrivain belge et éditeur, annonce la couleur de son dernier roman dès le titre (qu’il choisit souvent long) : Histoire d’Alice qui ne pensait jamais à rien (et de tous ses maris, plus un) (2013). Le ton est guilleret, même si cela commence par un enterrement. 

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    "Kissing Alice", une fausse photo attribuée à Lewis Carroll 
    (Merci à MH d'avoir dénoncé le montage et excusez-moi pour ce choix malheureux.)

    Paul rencontre sa tante Alice en novembre 2001, le jour de l’enterrement de sa sœur – « de ma mère, pour le dire autrement ». Il ne l’avait jamais vue, ils font connaissance. Cette « étrangère avec un accent anglais (…) avait les mêmes grands yeux clairs que (sa) mère ». Ses parents ne lui parlaient jamais d’elle, mais il savait qu’en mai 1945, la petite sœur de Mady avait été très malade après la mort de leurs parents et qu’elle s’était mariée à dix-sept ans avec un veuf qui avait perdu femme et enfants dans un bombardement. Ils s’étaient installés aux Etats-Unis.

    Alice lui donne rendez-vous dans un petit hôtel charmant de Bruxelles dont le salon va recueillir bien des confidences. Mais elle l’interroge d’abord sur la mort de sa mère, sur sa vie à lui. Il lui parle de sa femme et de leur fille qu’elle est allée rejoindre à Boston où celle-ci s’est retrouvée le bras dans le plâtre, pour l’aider à terminer son programme d’études. Alice a un service à lui demander : elle voudrait retrouver quelqu’un, un homme qu’elle a aimé – mais elle trouve injuste de ne parler que de lui.

    « Ce serait injuste pour qui ?
    – Pour les autres. Mes maris.
    – Vous avez été mariée plusieurs fois ?
    – Oui. Et veuve. Plusieurs fois…
    – Tant que ça ?
    – Oh… Je n’aime pas compter, a-t-elle dit dans un sourire. »

    Jour après jour, Alice et Paul se retrouvent à l’hôtel ou au restaurant. Son neveu de 56 ans est curieux d’apprendre l’histoire de cette inconnue.

    Les titres de douze chapitres sur treize sont des prénoms masculins. Seul le premier, « Alice », fait exception. Imaginez ce que vous voulez – patientez. A travers l’histoire de Pierre, Henri, Sydney et les autres, la vie d’Alice se raconte étape par étape, depuis son premier amour en 1944 pour l’instituteur du village jusqu’à ce médecin iranien qui l’a soignée en Inde après la mort accidentelle de son dernier mari.

    L’anglais se glisse dans la conversation d’Alice quand elle ne trouve plus ses mots en français. Elle revient sur sa vie avec un tel détachement, qui pourrait sembler de l’indifférence, que Paul la compare à un ange : « Si les anges peuvent voler, c’est parce qu’ils se prennent à la légère. »

    Dannemark dresse à travers leurs dialogues (« À quoi bon un livre sans images, ni dialogues ? » se demande l’Alice de Lewis Carroll) les portraits des hommes qui ont compté dans la vie d’Alice, 73 ans, et l’autoportrait d’une femme déjà veuve à vingt ans. Alice a quelque chose d’espiègle dans le regard, elle aimerait que Paul, qui a déjà publié un roman, écrive ses souvenirs, pour ne pas perdre les traces des personnes formidables qu’elle a rencontrées. Comme Maggie, la mère de Sydney, sa meilleure amie, son alliée, son modèle.

    Des rencontres et des voyages, Alice en a vécu beaucoup. Des deuils, plus qu’il n’en faut. « Si Dieu avait décidé que j’accompagnerais des hommes jusqu’à la porte de sortie, c’est qu’Il avait Ses raisons », lui a dit un jour quelqu’un en ajoutant « que c’était la preuve qu’elle avait assez d’amour pour eux tous. » Alice est sereine : elle n’était pas faite pour vieillir avec les hommes de sa vie.

    Il y a quelque chose d’un conte de fées dans cette Histoire d’Alice… où tout est bien qui finit bien en dépit de tous les malheurs. Dannemark souligne régulièrement le caractère paisible de cette femme qui traverse le temps sans s’apitoyer sur elle-même, qui s’est contentée d’accepter ceux qui venaient à elle sans les chercher – à part le dernier –, qui a goûté toutes les variations du destin, les cuisines du monde, la sensualité, la diversité des êtres.

    Mais derrière cette belle image, qui est vraiment Alice ? Pourquoi est-elle restée si longtemps éloignée de sa sœur ? Paul apprendra d’elle plus qu’il n’attendait.

    Léger, divertissant, le dernier roman de Francis Dannemark aborde les choses de la vie avec un optimisme délibéré. Il l’a conçu comme « une comédie dramatique à l’anglaise. Et à l’ancienne. »  Qui a dit que les gens heureux n’ont pas d’histoire ? Cette lecture vous fera au moins sourire, comme Alice, un personnage né dune visite au cimetière.